L'UCLy et l'hôpital Saint-Joseph Saint-Luc croisent les regards sur les fins de vie
Aide à mourir, grande vieillesse, conditions de travail des soignants... Pour éclairer les débats sur les fins de vie, l'UCLy et l'hôpital Saint-Joseph Saint-Luc se retrouvent pour un cycle de tables rondes « Changer de regard sur les fins de vie ». Le premier rendez-vous a permis de donner une perspective philosophique, anthropologique et historique de notre relation à la mort.
mis à jour le 7 février 2024
UCLy
« Nous sommes tous en fin de vie. » Cette observation n’est pas celle d’un provocateur ou d’un cynique. Comme beaucoup de soignants, le Dr Adrien Didelot est confronté chaque jour à la mort. Une fin que l’on peut l’éloigner, retarder, mais jamais faire disparaître. « La mort est inscrite le jour même où la vie naît » rappelle le médecin.
Pourtant, cette inévitable issue semble être devenue un véritable tabou de la culture contemporaine. Devenue indicible, voire invisible, la mort fait pourtant de nouveau irruption dans la sphère sociale et politique. En avril 2023, la Convention citoyenne sur la fin de vie a remis son rapport final au gouvernement qui doit désormais légiférer...Mais comment ? Les questions longtemps ignorées du grand âge, des soins palliatifs, de l’aide à mourir, exigent des réponses et des choix que notre société est mal préparée à apporter.
Une approche pluridisciplinaire des fins de vie
Pour beaucoup de nos concitoyens, il serait tentant de ne confier la question de la mort qu’aux médecins et aux scientifiques. « La mort a priori, ne devrait pas être un problème pour la philosophie » remarque Élodie Camier-Lemoine, Docteur en philosophie et chargée de mission scientifique à l'Espace de Réflexion Éthique Régional Auvergne Rhône-Alpes. « Après tout, c’est avant tout un phénomène que l’on peut comprendre objectivement. On peut mesurer le rythme cardiaque ou l’activité cérébrale... C’est un problème de biologie, appréhendé par la médecine. »
Pourtant, une approche purement scientifique de la mort n’a jamais su apporter les réponses dont notre société a besoin pour résoudre ses dilemmes face à la grande vieillesse, ou sur l’existence d’un « droit » à mourir. « Le débat sur la fin de vie est complexe, à la croisée de personnes bien au-delà des professionnels de santé. »
Pour éclairer ces discussions, il est donc nécessaire de croiser les perspectives, les points de vue des sciences, des humanités ou de la foi… C’est la mission que se sont donnés l’UCLy et le Centre Hospitalier Saint-Joseph Saint-Luc en organisant le cycle de conférence « Changer de regard sur la fin de vie ». « Aborder ces sujets de façon pluridisciplinaire, c’est la vocation de l’université catholique » explique le Pr. Olivier Artus, Recteur de l’UCLy.
La mort, expérience humaine
La première conférence, « la mort, un tabou dans l’Histoire » a marqué le point de départ de cette réflexion, une manière de poser le décor. La mort, la fin de vie...Ce sont sont des termes que l’on utilise sans même plus y penser. Il était donc important de leur redonner une dimension, une perspective, à travers l’anthropologie, l’Histoire, la philosophie et la théologie.
Deuxième table ronde - Patients et soignants : Quand on ne peut plus guérir
Le lundi 30 octobre à 20 h dans l’Amphithéâtre Mérieux de l’UCLy, la deuxième table ronde du cycle Changer de regard sur la fin de vie donne la parole aux soignants, pour éclairer le débat en s’appuyant sur leurs expériences uniques. En présence du Dr Gisèle CHVETZOFF (Oncologue, Responsable du département des soins de support du Centre de lutte contre le cancer Léon Bérard), du Dr Jean-Philippe FENDLER (Chirurgien et Président du Comité d’éthique de l’Hôpital Saint-Joseph Saint-Luc) et Bruno THÉVENET (Cadre formateur, en charge des questions éthiques, à l’école d’infirmiers (IFSI) de l’Hôpital Saint-Joseph Saint-Luc).
Débat animé par Jean-Baptiste COCAGNE Rédacteur en chef RCF Rhône.
Les trois intervenants l’expliquent en accord : à travers l’espace, le temps et les cultures la mort est un phénomène qui touche au cœur de l'humain. « Notre rapport à la mort est fondateur de notre humanité » explique le Dr. Laurent Denizeau, anthropologue à l’UCLy. « Pour les préhistoriens, la découverte des premières sépultures est considérée une étape décisive de l’hominisation. Le fait de traiter ses morts est un invariant culturel. L’humain devant la mort ne peut rien faire, mais il ne va pas rester sans rien faire ! C'est dans sa nature... »
Mais si l’expérience de la mort est universelle, l’expérience de chacun face à elle diffère. Le Pr. Artus, Recteur de l’UCLy et théologien, l’observe au travers de l’évolution du traitement de la fin dans les textes bibliques : « A travers la Bible, la mort bouge beaucoup ! » Dans les plus anciens textes hébraïques, le décès est un oubli total. Ce n’est que beaucoup plus tard que l’invention de la résurrection connecte la vie et la mort. « Dans la théologie du XXème siècle, notre vie complète notre vie éternelle, nous ne pouvons jamais effacer notre Histoire. »
Les nouvelles formes de la fin de vie
Au XXIème siècle, notre société contemporaine semble aujourd’hui marquer une nouvelle étape... Qui est peut-être un retour en arrière, vers une mort oubliée, traitée comme une barrière infranchissable qu'il faudrait ignorer pour vivre. « Le début du XXIème siècle est marqué par une double disparition : de la mort et de la grande vieillesse » observe Olivier Artus « Il y a une difficulté à parler de la mort. »
Les trois conférenciers l’observent chacun à leur manière : Jusque dans la mort, l’individu prend peu à peu le pas sur la société. Il est même soumis à une exigence de la « performance » qui prend le pas sur la culture funéraire. Aujourd’hui, il faut optimiser sa mort ! La phrase peut choquer, mais les exemples ne manquent pas : Le temps du deuil se réduit, la crémation est préférée à l’enterrement par économie de place et d’argent... De plus en plus, la fin de vie est celle de l’isolation loin des proches, dans le domaine exclusif des « soignants », des Ehpads et des hôpitaux.
Troisième table ronde - La fin de vie...Quoi qu'il en coûte ?
Quelle logique doit prévaloir dans l’accompagnement de la fin de vie ? Celle de l’efficacité, ou celle du quoi qu’il en coûte ? Mourir devrait-il être…Rentable ? Doit-on soigner en pensant au déficit de l’Assurance Maladie ? La troisième conférence du cycle Changer la fin de vie cherche à apporter un éclairage socio-économique sur la fin de vie, en correspondance avec les Journées de l’Économie à l’UCLy. Le 14 novembre à 20 h en Amphi Mérieux.
Avec le Pr. Olivier ABEL (Professeur de Philosophie et d’Éthique à la Faculté Libre de Théologie Protestante de Paris), le Dr Clémence THEBAUT (Maître de conférences en Économie de la santé à l’Université de Limoges), le Dr Bastien BARET (Enseignant-Chercheur en Droit à l’UCLy, spécialiste en droit de la famille et droit européen) et le Dr Catherine DENIS (Docteur en Théologie à l’UCLy et médecin spécialiste du cancer).
Le débat sera animé par : Jacques DE CHILLY, Président de l’Hôpital Saint-Joseph Saint-Luc.
Optimisée, isolée, la mort se fait aussi de plus en plus individuelle. Loin du regard de la société, elle appartient désormais à ceux qui la « vivent ». La question de l’aide à mourir est aussi celle du contrôle de notre propre fin. Faut-il faire de la mort un droit de l’humain, notre dernier recours contre la souffrance ? Cette personnalisation, le Pr. Artus la remarque jusque dans l’évolution des rites chrétiens : « La célébration chrétienne prend en compte une baisse de la foi. Même dans le lieu par excellence de la vie éternelle, on ose plus assurer la résurrection. On ne célèbre plus la vie éternelle, mais la vie du défunt. On choisit sa musique préférée plutôt qu’une musique religieuse partagée. Il y a une forme d’idolâtrie du mort. ».
L’impact social de ces évolutions n’est pas anodin. A travers l’Histoire, les rites funéraires existaient aussi pour les vivants. Comme l’explique Laurent Denizeau : « Face à un être cher que l’on va mettre en terre on fait l’expérience du désarroi – en tant que croyant ou non croyant. C’est une épreuve de l’amour que l’on porte à un être. Le rite funéraire, c’est la récupération de ce désarroi dans l’ordre de la culture. » Face à des rites qui ne célèbrent que l’individu, les proches sont-ils privés des moyens d’accepter leur propre mortalité ?
Les conférenciers voient dans cette évolution un paradoxe à résoudre. Sommés de « réussir notre mort », nous sommes privés des rites nécessaires pour s’y préparer. Ou comme le disait le philosophe Jacques Madaule : « Je sais que je vais mourir, mais je ne le crois pas. »
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- Quoi qu'il en coûte ? La mort entre chiffres et humanités
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